Entretien avec Jean-Pierre Scandella, Associé-Gérant du Cabinet Arrowman Executive Search
Propos recueillis par Olivier Durand
Les emplois du futur nexistent pas encore, 50% des emplois seront transformés dans les dix ans, 10 à 20% seront créés et autant vont peut-être disparaître.
Sur quels « soft skills* » devront miser les cadres pour maintenir leur employabilité ?
« Nous assistons à une révolution des métiers. Bien que personne ne soit capable raisonnablement de prévoir lavenir, des tendances fortes sont observables en termes de compétences à acquérir et de savoir-être à adopter. Le contexte de transformation globale, de multiplication des flux dinformation, de prise en charge simultanée dune multitude de projets, oblige de fait le manager à faire preuve desprit critique pour rompre avec ses croyances, être en position davancer et de discriminer avec un jugement affiné, pour faire avec les événements mais pas contre. Par ailleurs, les conditions économiques qui imposent la recherche de nouveaux leviers de croissance, cela dans tous les secteurs, industrie, luxe, distribution obligent désormais à travailler de manière transversale et collaborative. Travailler en équipe multidisciplinaires est le leitmotiv. Enfin, aux managers de faire preuve de créativité et dinnovation, parce quil est possible de faire plus et mieux avec moins, les organisations nous demandent de leur dénicher des « intra preneurs ». On peut dire que la créativité prime désormais sur les compétences techniques».
Pour un manager, la compréhension globale des situations est-elle un avantage ?
« Evidemment ! 100% des demandes de nos clients vont dans ce sens. Mais sur ce point précis, nous sommes confrontés à la rareté des profils. La vision globale et lesprit de synthèse ne sont pas les qualités premières des candidats, qui sont souvent spécialistes finalement dun bout de la chaîne de valeur ».
La capacité de communication, et la compétence relationnelle, vous paraissent-elles encore dactualité ?
« La capacité de communication, elle nest pas nouvelle, mais reste dactualité. Toute personne pourvue de responsabilité est une courroie de transmission. Le manager doit démontrer des aptitudes de leadership personnel. Reconnu comme digne de confiance et donc convaincant, il doit suggérer du bon vouloir de la part de ses collaborateurs pour les mener vers la réalisation des objectifs mais aussi vers la transformation. Le manager daujourdhui nest plus expert tout seul, celui qui le reste n’est pas efficace. Les compétences relationnelles, si elles ne sont pas expressément formulées, demeurent essentielles. Le manager doit concilier exigence et bienveillance. Se mettre à la place de lautre, faire preuve dempathie est une qualité primordiale notamment pour le middle-management dont la mission dentre deux est délicate ».
Les technologies de linformation bouleversent le paysage, dans quelles mesures impactent-t-elles le recrutement des managers ?
«Il ny a plus un métier qui ne serait pas concerné par la data ou le digital. La révolution est en marche ! Ces technologies viennent se nicher dans des fonctions où on ne les attendaient pas forcément. Les postes de Direction Générale, qui étaient observatrices de lexpertise sont elles aussi de plus en plus concernées. Les organisations introduisent des dirigeants qui doivent impérativement maîtriser ces technologies. Il nest plus envisageable de pouvoir faire carrière sans. Dailleurs, les entreprises qui peinent à évoluer, sont gérées à lancienne et nont pas su faire évoluer leur état-major ».
Vous disiez en préambule quil est impossible de prévoir lavenir. Du coup, quelle qualité en particulier peut-on exiger du dirigeant pour donner du sens quand le brouillard tombe?
« Le manager doit se positionner dans une logique de veille continue. Cest une capacité fondamentale à cultiver, pour capter les signaux, les tendances, en résumé ce qui fera la réalité de son entreprise demain. Cest une aptitude qui est par exemple réclamée pour la fonction de DSI. Il est tellement difficile de faire les bon choix stratégiques. Les titulaires de ce poste doivent être des baliseurs, des gens qui éclairent le chemin. Lentreprise a besoin de faire monter à bord des managers qui la font avancer et lui font prendre le bon cap ».
Ces « savoir-faire » et « savoir être », concerneront ils certaines fonctions en particulier ou compte tenu des mutations actuelles seront-elles nécessaires pour lensemble des collaborateurs ?
« Objectivement, oui tout le monde est concerné, en tous les cas les cadres le sont tous. Même si ce nest pas une révolution et une nouveauté pour les dirigeants entrepreneurs. Lintroduction des technologies de linformation, casse les hiérarchies traditionnelles. Mais tout le monde ne dispose pas du même niveau de formation au démarrage. Les organisations nous demandent des cadres pourvus de toutes ces qualités, avec 100% dexpertise, sans miser sur la formation en interne. Nous aimerions quelles investissent sur ce point en particulier. La réalité du marché doit induire des compromis. Les organisations définissent des postes qui ne tiennent pas toujours compte de la réalité des populations, le mouton à cinq pattes est de plus en plus compliqué à dénicher, nous ne recrutons que des femmes et des hommes ».
Pour conclure, que manque-t-il in fine pour réellement progresser dans lorganisation ?
« Les managers doivent impérativement trouver ou retrouver le goût du risque. Il y a encore trop dautocensure dans lentreprise. Accepter le risque, cest tout simplement accepter de gagner. Et à part gagner que peut-t-il arriver d’autre ? Dans lorganisation, tout est pensé, cadré, digéré, processé, le manager doit pourtant lutter pour garder sa dimension personnelle et lassumer. Le bon manager est celui qui accepte de se dire quil ne peut être champion tout seul, sait sentourer des compétences qui lui manquent, bref qui complète le puzzle avec agilité ! ».
*Définies notamment par Tony Wagner, chercheur au sein de la Harvard Graduate School of Innovation, les « soft skills » sont au nombre de sept :
– Esprit critique et résolution de problèmes
– Capacité créative et dinnovation
– Capacité de compréhension globale des situations et notamment dun point de vue transculturel
– Capacité de communication et compétences relationnelles
– Maîtrise des technologies de linformation
– Capacité à apprendre tout au long de sa vie, capacité à évoluer dans sa carrière et donc de changer de travail
– Capacité à être agile et à entreprendre. Gestion de soi agilité émotionnelle