Interview réalisée par Aurélie Tachot, Journaliste indépendante.
Popularisé sur TikTok dans un contexte post-Covid, le « quiet quitting » ou « démission silencieuse » a aussi pour terreau le désengagement des cadres. S’il déstabilise les entreprises, ce phénomène est loin d’être inéluctable. Il suppose toutefois que les dirigeants valorisent davantage les performances de leurs talents, selon Jean-Pierre Scandella, directeur général du cabinet Arrowman Executive Search.
Comment expliquer l’ampleur du « quiet quitting » ?
La crise du Covid-19 et la mise en sommeil des pratiques « classiques » qu’elle a générée a bouleversé l’ensemble des organisations. Le développement du télétravail n’a par exemple pas été vécu de la même manière par les entreprises : certaines comme les sociétés technologiques et les cabinets de conseils l’ont adopté spontanément tandis que d’autres l’ont fait à en partie sous la contrainte et à contrecœur. Le phénomène du « quiet quitting » fait suite à ce choc à la fois organisationnel et culturel, qui ne connaîtra probablement pas de retour en arrière. Il est l’expression du ressenti de certains salariés qui, soit n’ont pas été suffisamment récompensés au regard de leur investissement, soit ont vu leur équilibre vie professionnelle et personnelle se fragiliser. Ce qui est intéressant, c’est que le « quiet quitting » se télescope avec d’autres phénomènes de fond comme la quête de liberté des cadres dirigeants, l’envie d’entreprendre, la volonté de trouver davantage d’équilibre… Or, c’est un vrai challenge managérial !
Un challenge managérial, mais aussi RH…
Oui, on ne peut plus imaginer une gestion unifiée et distante des ressources humaines, par exemple en expliquant aux cadres dirigeants qu’il existe une grille salariale à laquelle l’entreprise ne dérogera pas. C’est une fausse appréciation de l’égalité : il est normal qu’au sein des entreprises, un cadre ayant des compétences rares et disputées soit mieux valorisé. Une entreprise ne peut donc pas être gérée comme une administration ! Les directeurs généraux comme les directeurs des ressources humaines doivent être libres de récompenser un effort lorsqu’il est supérieur à un autre. De manière plus globale, la gestion des ressources humaines devrait être « à la carte », c’est-à-dire en fonction de l’investissement de chaque collaborateur, toujours en respect des objectifs de l’entreprise. Dans un contexte de pénurie de talents, les organisations doivent donc faire des efforts, même si elles ont peu de marges de manœuvre, du fait de la contraction économique qu’elles subissent.
Qu’est-ce que cela suppose pour les entreprises ?
Cela suppose qu’elles objectivent les résultats de leurs collaborateurs. Valoriser, par la rémunération, des équipes ne peut pas se faire « à la tête du client. » Cela implique de réaliser un travail plus fin de la mesure de la performance. C’est aussi de cette manière que les organisations inciteront leurs cadres dirigeants à se dépasser ! Surtout, cette approche peut constituer une réponse au sentiment d’injustice qui transparaît dans le phénomène du « quiet quitting » et plus largement au constat de désengagement qui est palpable dans tous les pans de notre société. De la même manière, il est urgent que les dirigeants se ré-intéressent à leur middle-management. Je constate que les cadres intermédiaires sont trop souvent critiqués lorsqu’ils souhaitent apporter des éléments structurants sur le temps de travail, la formation, le télétravail… Leurs idées sont trop rapidement balayées alors qu’elles permettraient peut-être de faire émerger des formes de management plus abouties.
Nos conseils : Côté dirigeants : – Rappeler régulièrement le sens et les objectifs collectifs de l’entreprise – Mieux valoriser les collaborateurs selon leur performance individuelle objective – Remettre davantage de proximité et d’humain dans de petites équipes – Favoriser l’équilibre entre télétravail et présentiel en fonction de la situation de chaque collaborateur – Organiser des temps forts collectifs pour garder le lien avec tous les collaborateurs – Récompenser les initiatives positives à la vie en société Côté collaborateurs : – Exprimer ses ambitions et ses doutes à sa hiérarchie ou au DRH plutôt que de se résigner et entrer dans un cycle finalement dévalorisant à titre personnel – Gagner en autonomie dans le périmètre de son poste et proposer des solutions |